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Full text of "Vert & Noir 1 (2009 Été)"

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Anti-ci\^ili$(\tipn 



Vert fit Noir 


Numéro 1.1- Eté 2009 




Tl^^te^ <(e5 fM.A^ttère5 


Nous sommes arrivés à l'ére de tous les 
dangers. Jamais l'être humain n'aura été 
aussi proche de l'extinction, ou pire, de la 
déshumanisation. Jamais la planète et tous 
les écosystèmes qui la composent n'auront 
été aussi menacés. 


La convergence des crises (climatique, 
énergétique, halieutique, environ- 
nementale, santé publique, économique, 
sociale) est telle que certains en voient les 
signes de la fin de notre civilisation. 


Face à ces dangers, les gouvernements, 
mais aussi les individus, se contentent de 
perfuser le système ou de promouvoir une 
croissance verte ou un développement 
durable. Mais il y a encore pire, les 
humains se résignent, ils acceptent ce 
dénouement comme une fatalité due aux 
tares de l'humanité; ou alors ils rêvent de 
révolutions technologiques qui vont 
résoudre tous nos problèmes. Ils acceptent 
le nucléaire ou les OGM car c'est d'eux que 
dépend le futur de notre si belle 
civilisation. 


Il nous parait important de clarifier et de 
démythifier un certain nombre de points: 
l'être humain n'est pas maudit, la 
civilisation n'est pas la meilleure façon de 
vivre, la technologie n'est pas neutre, 
l'agriculture n'est pas la panacée. 


Nous voulons donc offrir à nos lecteurs des 
nouveaux points de vue, une critique 
radicale, une mise à nu de certains mythes, 
mais surtout de nouvelles perspectives 


Editorial 3 

Table des matières 3 

Impressum 3 

Petite histoire humaine 4 

Définition de la civilisation 6 

Un mal nommé civilisation - 1 7 

Réensauvagement 10 

Moi, TERRE, écoutez-moi 12 

De la neutralité de la technologie 13 





Info, annonces : urscumug@riseup.net 
Blog : http://anarchieverte.ch40s.net 
Forum : http://vertetnoir.xooit.fr 
Images : Anaryax 


Version papier disponible pour les 
prisonniers, pour les abonnés ou sur 
demande spéciale, contactez-nous. 


- 3 - 


Bonne lecture. 



Vert fit Noir 


Numéro 1.1- Eté 2009 


PKTITK niSTOIRK HUMAINK 

Voici une petite histoire édifiante de l'être humain, des 
jours anciens aux prochaines décennies. Par Mouton Sauvage, 
janvier 2008 


AGK »’OK 

Depuis quelques millions d’années, des 
hominidés au cerveau développé ont eu pas 
mal de succès sous diverses appellations: 
pithécanthrope, Neandertal, Cro-Magnon, 
etc. Les versions modernes ont vécu 
plusieurs dizaines de milliers d’années, voir 
centaines de milliers pour les Neandertal, 
en menant une vie tranquille de 
chasseur-cueilleur. 

RÉVOLUTION ACKICOLK 

Il y a 12-13 mille ans, certains ont 
commencé à se sédentariser et à dépendre 
de plus en plus de l’agriculture. Cela a 
produit des surplus de nourriture, qui a 
permis une expansion de la 
population, qui a permis de produire 
encore plus de surplus, etc. C’est allé de 
pair avec une spécialisation du travail, la 
hiérarchisation de la société, le patriarcat 
et les inégalités. La nourriture fut mise 
sous clé et il fallut se mettre à travailler 
pour manger. Les plantes, les animaux et 
les humains furent domestiqués. 

VALSK mis KMPIKKS 

Les tribus sont devenues des chefferies, 
puis des royaumes, puis des empires qui 
ont assimilé ou détruit leurs voisins. Cette 
nouvelle façon de vivre n’était pas aussi 
pérenne ni aussi satisfaisante que la 
précédente, l’Histoire est parsemée de 
vestiges d’empires. Beaucoup de 
peuples ont disparu sans laisser de traces. 
Les raisons sont diverses: guerres avec un 
voisin, destruction de l’environnement, 
abandon des cités. A ce jour, presque tout 
le monde a été assimilé ou détruit. 


UONSOMMATION »IJ UAPII’AL 

Ce processus d’expansion rapide a été 
rendu possible par l’utilisation du capital 
ressource-énergie: fertilité dans le sol, 
biodiversité, métaux, bois, charbon, 
pétrole, uranium, etc. Même l’utilisation 
de ressources renouvelables est 
généralement faite plus rapidement que le 
taux de renouvellement, c’est ainsi que les 
forêts précèdent les civilisations et les 
déserts les suivent. 

UKLIUIONS 

Il y a plus ou moins deux mille ans, les 
religions du salut, celles qui sauvent 
(bouddhisme, hindouisme, christianisme, 
islam), se sont développées pour soulager 
et/ou justifier cette incroyable violence 
infligée aux humains, aux animaux et à la 
nature. Actuellement, le libéralisme 
économique et la foi en les techno sciences 
ont remplacé partiellement ces religions, 
dans le même but: nous donner espoir et 
nous faire supporter l’insoutenable. 

SURCIIAUFFli: 

Depuis quelques décennies, les humains 
ont, chaque année, consommé, brûlé et 
pollué plus que ce que la planète est 
capable de fournir ou d’assimiler. Nous en 
sommes au stade de la détérioration 
irréversible. Il n’y a qu’un mot pour 
résumer cette convergence de crises 
multisectorielles: surchauffe. 

FFFONRUFMFNT 

Le dogme de la croissance sans fin nous 
force à consommer, à nous endetter, 
utiliser des ressources et polluer de façon 
exponentielle. Depuis 10-12 mille ans, des 
gens prédisent que le système n’est pas 
soutenable et qu’il va s’effondrer. Ces gens 



Vert fit Noir 


Numéro 1.1- Eté 2009 


ont eu raison, l’histoire le prouve. Notre 
civilisation mondiale va également 
s’effondrer, dans pas longtemps car nous 
sommes au siècle de la vitesse. 

ACITIJUS 

Les gens qui font que ce système perdure 
depuis plusieurs millénaires sont les 
dirigeants, l’élite, la noblesse, les rois, les 
hyper-riches: une minorité. Les moutons 
écervelés et domestiqués qui constituent la 
classe moyenne ne rêvent que de les imiter 
et sont terrorisés à l’idée de tomber plus 
bas. Les autres sont des esclaves. 

RÉVOLUTIONS 

Les révolutions n’ont généralement pas eu 
d’autres buts que d’effectuer des rotations 
au sommet de la hiérarchie: remplacer un 
chef par un autre, des nobles par des 
fonctionnaires. Les prisons survivent 
aux révolutions. Les pauvres sont 
toujours aussi pauvres. Les démocraties 
donnent l’illusion au peuple de contrôler 
son destin. 

»IJ PAIN KT mis JKIJX 

Pendant ce temps, tout est fait pour que la 
masse servile ne relève pas la tête, on la 
noie dans une masse d’information futiles, 
on veille à ce qu’elle dispose des derniers 
gadgets et que les divertissements ne 
perdent pas d’intérêt. Les antidépresseurs 
viennent au secours de ceux qui ne le 
supportent plus. Le suicide paraît être la 
seule porte de sortie. 

UIS AMRIJLANCIKKS 

Plusieurs se sont levés pour atténuer les 
peines, soigner les dégâts, freiner la 
machine dévorante. Ils ont proposé de 
nouvelles lois, ont manifesté, ont sacrifié 
leur vie, ont imposé de nouvelles 
politiques, mais cela est vain: le système 
en ressort à chaque fois intact, 
quand il n’est pas encore renforcé. La 
justice crée l’injustice, le système de santé 
rend malade, l’éducation abruti. Triste 


résultat malgré toutes les “améliorations” 
qu’on y amène sans cesse. 

SORTIR RU PIÉOK 

La question fondamentale est maintenant 
de savoir comment nous allons sortir de ce 
piège, éviter d’être asphyxiés par nos 
déjections ou être nettoyés par les élites. 
Comment sortir de la cage souvent dorée ? 
Comment échapper à tout l’appareil qui 
veut nous faire réintégrer notre niche ? 
Comment survivre dans l’en-dehors ? 

RK'rOIJR AUX UAVKRNKS 

Il n’est pas possible de retourner dans les 
cavernes ni de remonter sur les arbres. Les 
cavernes contiennent maintenant des 
déchets toxiques et les arbres ne sont plus 
assez nombreux. Ce qui reste de nature est 
bien incapable de nourrir 7 milliards de 
chasseurs-cueilleurs. En puis, si nous 
sommes si intelligents, nous devrions 
pouvoir inventer un futur primitif 
différent. 

UUITTKR LA UIVILISA'ITON 

On ne sait pas quel mode de vie nous est 
favorable, nous l’avons oublié. Mais ce qui 
est sûr, c’est qu’il faut que la 
civilisation cesse, du moins telle que 
nous la concevons. On ne peut la faire 
tomber du jour au lendemain, mais c’est 
un géant aux pieds d’argile, elle est 
condamnée. On peut l’aider à tomber, mais 
on peut aussi s’en éloigner, la vider de son 
sang, notre sang. Il ne s’agit pas de faire 
une révolution pour mettre une nouvelle 
équipe à la place de l’ancienne, il s’agit de 
faire une révolution culturelle individuelle. 
Briser le tabou ultime “il n’y a rien de 
mieux que la civilisation”. Cette révolution 
est déjà en marche. Tout le monde peut la 
faire: en disant non, en résistant, en 
n’achetant pas, en connaissant son voisin, 
en privilégiant le local, en faisant la paix 
avec la nature, en découvrant la vraie 
valeur des choses. Il y a mille manières. 


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Vert fit Noir 


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IJTOPIKS 

Je rêve d’un monde où les humains 
revivraient en tribus hétérogènes, 
égalitaires, et où le “travail” ne 
consisterait qu’à assurer la subsistance et 
la survie de tous ses membres. Un monde 
où les moyens de subsistance seraient 
fournis gratuitement par la nature. Un 
monde où les états, les banques, les prisons 


et les multinationales n’existeraient plus. 
Un monde où chacun serait son 
maître. Un monde où nous pourrions vivre 
et ressentir de nos cinquante sens sans 
artifices. 


Ce monde a existé, ce monde est possible. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une 
nouvelle VISION, le genre de vision qui a porté la révolution agricole, l’essor des grandes 
religions ou la révolution industrielle. 


DÉFINITION m IJI CIVILISATION 

Une définition de la 
traduction par Misko. 

“Une civilisation est une culture - 
c’est-à-dire, un ensemble d’histoires, 
d’institutions, et d’artefacts - qui à 
la fois mène à, et émerge de la 
croissance de villes (civilisation, voir 
civil; de civis, signifiant citoyen, du 
Latin civitatis, signifiant cité-état), 
avec les cités ou villes étant définies 
afin de les distinguer des 
campements, villages, et ainsi de 
suite - comme étant des groupes de 
personnes vivant de façon plus ou 
moins permanente en un endroit et 
en nombres assez élevés pour exiger 
l’importation routinière de nourriture 
et autres nécessités de la vie...” 


par Derrick Jensen, 

“...Les Villes exigent l’importation 
(souvent forcée) de nourriture et 
autres ressources. L’histoire de 
n’importe quelle civilisation est 
l’histoire de la montée de cités-états, 
ce qui veut dire que c’est l’histoire 
du pompage de ressources vers ces 
centres (afin de les soutenir et de 
causer leur croissance), ce qui signifie 
que c’est l’histoire d’une région non- 
viable en constante croissance, 
entourée par une campagne de plus 
en plus exploitée...” - Derrick Jensen 


civilisation 



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UN MAL NOMMÉ CIVILISATION - I 

Origine et non durabilité 
Hagouchonda, juillet 2008. 

LA CITÉ 

Comme son nom l’indique (du latin: 
civitas,-tatis la cité ; civis,-is le citoyen) la 
civilisation est une affaire de ville, de cité. 

Et qu’est-ce qu’une cité si ce n’est un 
village exagérément grand par rapport à la 
capacité de charge de son environnement ? 
Pour soutenir une telle concentration 
d’humains, il faut donc trouver une astuce 
pour tricher et contourner les lois de la 
nature. Pour ce faire, la civilisation utilise 
l’agriculture. Un procédé qui consiste à 
raser l’écosystéme existant et à le 
remplacer par une seul plante ou plus 
exactement une poignée de plantes 
apparentées. Ce procédé provoque la 
dégradation du sol et son érosion 
progressive. 

MlJLTIPLICA'nON 

Au début, le civilisé parvient à produire 
d’avantage de nourriture qu’il n’en n’avait 
besoin. Il put ainsi constituer des réserves 
et commercer avec les éleveurs nomades et 
les tribus sauvages. Ce surplus permit aussi 
une spécialisation des humains civilisés 
(charpentiers, scribes, etc.). Mais 
rapidement, comme c’est toujours le cas 
quand un animal est en présence d’une 
abondance alimentaire, le civilisé s’est 
multiplié et les surplus ont fondu. Il dut 
alors intensifier et étendre toujours 
d’avantage son astuce. Au prix de toujours 
plus d’effort et de travail. Ainsi commença 
la grande fuite en avant de la civilisation. 

GIJKUUK 

Il s’ensuivit une guerre effrénée contre 
l’écosystéme, menée par l’homme civilisé 
pour augmenter sa production. Il doit 
toujours augmenter les surfaces agricoles. 

Il doit constamment retourner la terre pour 
empêcher la nature de restaurer les terres 


de la civilisation. Par 

dévastées. Cela demande un 
investissement important de temps mais 
surtout d’énergie. Dans un premier temps, 
ce travail fut effectué à la main. Puis on fit 
appel à la force animale pour éventrer la 
terre. Il fallu alors nourrir et entretenir ces 
bêtes, ce qui impliqua un surplus de 
travail. On creusa aussi des canaux 
d’irrigations et de drainage qu’on dut 
entretenir. Eventuellement, on remplaça 
les animaux par des tracteurs, des 
moissonneuses, etc. On créa des engrais 
chimiques pour compenser artificiellement 
à la dégradation du sol. Augmentant de 
plus en plus la complexité de la civilisation. 

DKCKOISSANCK 

Cet accroissement de complexité a bien sur 
un coût, il signifie toujours d’avantage de 
gens attachés à la gestion de cette 
complexité et à des tâches autres que la 
production d’aliment. Cela signifie qu’au 
fur et à mesure que cette complexité 
augmente, le retour sur l’investissement 
diminue jusqu’à ce que le retour devienne 
négatif. Ce phénomène est connu sous le 
nom de «Loi des retours décroissants», et 
cela implique qu’inévitablement toute 
civilisation doit s’effondrer quand elle 
atteint ce point de développement. A ce 
stade, un problème somme toute banal 
peut les anéantir. Car le seul moyen de 
résoudre les problèmes dans une 
civilisation implique un accroissement de la 
complexité. 

ciuinmii 

Toutes les civilisations ont disparu à cause 
de ce phénomène de retour décroissant. La 
civilisation actuelle ne s’est pas encore 
effondrée lorsqu’elle manqua de bois et 
devint incapable d’augmenter sa 
production alimentaire parce que deux 
évènements lui permirent de continuer son 



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stratagème agricole et énergétique. Elle 
découvrit l’Amérique et passa à l’âge du 
carbone en se tournant vers le charbon. 
L’Amérique lui apporta de nouvelles terres 
mais aussi de nouvelles plantes 
domestiques ce qui mit fin à des épisodes 
de famine récurrents. Le charbon remplaça 
le bois qui manquait cruellement. Devant 
les coûts croissants du bois et la densité 
énergétique plus grande du charbon. On 
finit par se résigner à l’utiliser de plus en 
plus. Le charbon étant disponible en 
quantité et à bas prix il devint le moteur 
de la première révolution industrielle, qui 
conduisit à une explosion de la complexité 
comme jamais auparavant et poussa plus 
loin l’explosion démographique et la fuite 
en avant des civilisés et la destruction des 
écosystèmes. 

IIYDUOCAUBIJUKS 

Puis arriva le pétrole, dont l’énergie était 
encore plus concentrée que celle du 
charbon, tout en étant infiniment plus 
versatile. Et la fuite en avant continua de 
plus belle, augmentant toujours d’avantage 
la complexité. Une complexité 
exponentielle alimentée par la 
consommation toujours plus grande 
d’énergie fossile. Or voilà que les énergies 
fossiles sont non renouvelables (sauf sur 
des temps géologiques). Et il se trouve que 
nous avons atteint à toute fin pratique le 
point où la moitié du pétrole a été pompé. 
Il en résulte selon une loi géologique 
implacable que la production va 
progressivement décroitre, ce qui va 
obliger la civilisation à trouver une 
nouvelle astuce pour continuer sa fuite en 
avant. Et ce, très, très rapidement. Le gaz, 
le charbon, et l’uranium sont dans une 
situation comparable, leurs pics 
d’extraction suivront sous peu. En 
Amérique du nord, le gaz est déjà en déclin 
et on doit en importer à grand frais 
(accroissement de la complexité). 


PIC PK'rKOLlKR 

Le pétrole et les énergies fossiles (incluant 
l’uranium) est un parfait exemple de la loi 
sur les retours décroissants. Au début, on a 
pompé le pétrole facile, il sortait même 
tout seul de terre. Pour chaque joule 
investie on en récupérait 100 voir plus. 
Mais au fil du temps, ces gisements 
s’épuisèrent et on se tourna vers des 
sources plus difficiles et il fallu investir 
plus d’énergie pour le récupérer. On passa 
à 50:1 puis avec le temps à 10:1. On en 
arriva à l’extraction des sables bitumineux 
dont le retour sur investissement est très 
faible 3:1 à 2:1 tout au plus. 

NKCROCARBlJRAN'rS 

Récemment, sous un prétexte écologique, 
on se tourna vers les agrocarburants et le 
retour sur l’investissement devint négatif. 
Car l’agriculture est un procédé qui 
consiste depuis longtemps à transformer 
une importante quantité d’énergie non- 
alimentaire en une petite quantité 
d’énergie alimentaire. Cela à commencé 
quand la force animale a remplacé la force 
humaine. Les boeufs mangent plus 
d’énergie qu’ils permettent d’en produire, 
ils importaient pour ainsi dire l’énergie des 
prairies incultes par le biais du foin mangé 
par les bêtes. L’avènement du tracteur et 
de l’énergie fossile creusa l’écart, si bien 
qu’aujourd’hui on en est à 1 joule récoltée 
pour 10 dépensées. Mais la production a 
augmenté, l’agriculture est un système 
consistant à utiliser la force brute, au 
contraire de l’horticulture. Les pesticides, 
les herbicides, les engrais, les machines, 
tous dépendent d’une consommation 
incommensurable d’énergie fossile. Non 
seulement l’agrocarburant est-il un retour 
négatif sur l’énergie mais pour cette raison 
aussi d’un point de vue environnemental. 

OLRIJVAÏ 

Le piège des rendements décroissants se 
referme donc sur la civilisation. Mais cette 
civilisation, contrairement aux autres, sera 


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la dernière car elle a épuisé toute les 
ressources minérales accessibles par des 
moyens humains. Les ressources qui 
nourrissent la bête immonde, ne peuvent 
être obtenues qu’aux frais d’un complexe 
industriel devenu insoutenable. Les sols 
épuisés, minéralisés, morts et infertiles ne 
pourront plus produire assez de nourriture 
pour relancer une civilisation. Il faudra des 
millénaires pour que les sols redeviennent 
fertiles. C’est la théorie d’Olduvaï dans 
toute sa beauté. 

CLIMA'r 

Par ailleurs, pour améliorer la situation, les 
dommages à l’environnement et au climat 
feront disparaître les conditions ayant 
permis l’émergence de l’agriculture. 
D’autant plus, que le réchauffement du 
climat va recevoir un coup de fouet après 
l’effondrement de la civilisation par la 
suppression de l’Effet de voile planétaire. 
L’intense activité industrielle et la 
combustion des énergies fossiles relâchent 
dans l’atmosphère de fines particules 
appelées aérosols. Ces aérosols provoquent 
la réflexion d’une part importante du 
rayonnement solaire vers l’espace. Dans les 
années 1970 on assista à un refroidissement 
du climat qui provenait de cet effet. Mais 
plus tard, les quantités de C02 dans 
l’atmosphère permirent à l’effet de serre 
de supplanter l’effet de voile. 

KFFOXDUKMKX'r 

Qu’adviendra-t-il alors ? La civilisation 
implosera et les civilisés avec elle, il n’y a 
aucun doute là-dessus. La destruction des 
écosystèmes étant si grande, leurs 
capacités de charge est bien plus faible que 
celles qui existaient au néolithique, lorsque 
tout ça débuta. Par conséquent, la 
population humaine, comme toute 
population animale qui dépasse la capacité 
de son environnement à le nourrir, crèvera 
de faim et de maladie. Jusqu’à ce que le 
nombre d’humains soit approprié aux 
ressources. En d’autre termes, au moins 
95% de la population mondiale est 

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condamnée à brève échéance. Les chances 
de survie décroissant dramatiquement avec 
la densité de population. Les 5% seront 
presque exclusivement ceux que le civilisé 
appelle avec mépris et dégoût: «sauvage», 
«barbare» ou «primitif». 




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Vl^^e.Ÿy\£■nt 


Qu'est-ce que le réensauvagement (rewilding en anglais) ? 
Ce terme, Réensauvagement (Rewilding) , est relativement 
nouveau pour moi. La première fois que je l'ai lu quelque 
part, c'était il y a moins d'un an. Je crois que je faisais 
une recherche sur l'anarchisme vert quand je suis tombé 
dessus. En fait, c'est à peu près en même temps aussi que 
j'ai lu pour la première fois à propos d' 'anarchisme vert', 
d' 'anti-civilisation', d' ' anarcho-pr imitivisme ' , et ainsi 
de suite. Par Misko. 


En en apprenant plus sur le 
‘réensauvagement’ je me suis aperçu que 
ça définissait assez bien ce que je faisais 
depuis un bon petit bout de temps. 

En voici donc quelques définitions, que 
j’aime bien: 

'Wiltepn Lç^ne.n 

Extrait de, “WHAT DOES REWILDING 
MEAN?”, chez ‘The College of Mythic 
Cartography” 

“...Réensauvagement, dans le sens que 
les ‘cartographes mythiques’ (mythic 
cartographers) et animistes de divers 
milieux r utilisent, signifie une 
renaissance et un retour constants 
aux valeurs et technologies de la 
Famille, du Village, et de la Terre. 

Pour moi, cela veut réellement dire 
vivre la Belle Vie (the Good Life). 
Cela veut dire savourer et prioriser la 
nourriture, la famille, le travail 
éthique, les partenariats avec la vie 
sauvage. Cela veut dire de prendre 
responsabilité pour notre ascendance, 
cela signifie prendre le temps de 
s’attrister pour ce que nous avons, et 
de célébrer ce que nous avons perdu. 

Ça veut dire fini les “oublie ça, passe 
à autre chose”. Ça veut dire 
s’éloigner de la vie que nous ne 
voulons plus vivre, et choisir 
maintenant la vie que nous voulons 


vivre. Ça veut dire de suivre nos 
coeurs. 

La ‘Renaissance du Réensauvagement’ 
décrit l’engagement toujours 
grandissant de tellement de gens à 
recréer et à réinventer les traditions 
perdues de la Famille, du Village, et 
de la Terre. Nous ne voyons pas de fin 
à ce processus; les êtres humains ont 
toujours eu à renouveler leur 
engagement à vivre en beauté et 
d’une manière qui fonctionne. 

H importe seulement que nous 
commencions. ” 


C^rttn Anç^rckvj ïnj^Q 


‘Rewilding’. Auteur inconnu: 


“Pour la plupart des anarchistes 
verts/ primitivistes et anti- 
civilisation, le réensauvagement et la 
reconnexion avec la terre est un 
projet de vie. Ce n’est pas limité à la 
compréhension intellectuelle ou à la 
pratique de techniques primitives, 
mais au lieu de cela, c’est une 
profonde compréhension de toutes les 
manières possibles avec lesquelles 
nous sommes domestiqués, rompus, 
et séparés de nous-mêmes, des 
autres, et du monde, et de l’énorme 
travail quotidien à redevenir 
complet. Le réensauvagement a une 
composante physique qui implique le 
recouvrement d’habiletés et le 


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développement de méthodes pour une 
coexistence viable, incluant comment 
nous nourrir, nous abriter, et nous 
soigner avec les plantes, animaux, et 
les matériaux qui se trouvent 
naturellement dans notre biorégion. 
Cela inclut aussi le démantèlement 
des manifestations, dispositifs et 
infrastructures physiques de la 
civilisation. Le réensauvagement a 
une composante émotionnelle, qui 
implique de nous guérir nous-mêmes 
et les uns les autres des blessures 
vieilles de 10 000 ans qui sont 
profondes, d’apprendre comment 
vivre ensemble en communautés non- 
hiérarchiques et non-oppressives, et 
de déconstruire les principes 
domestiquant dans nos patterns 
sociaux. Le réensauvagement 
implique de prioriser l’expérience 
directe et la passion à la médiation et 
l’aliénation, de repenser chaque 
dynamique et aspect de notre réalité, 
de nous connecter avec notre fureur 
sauvage à défendre nos vies et à 
combattre pour une existence 
libérée, de développer notre 
confiance en notre intuition et d’être 
plus connectés à nos instincts, et de 
regagner l’équilibre qui a été 
littéralement détruit après des 
milliers d’années de contrôle et de 
domestication patriarcaux. Le 
réensauvagement est le processus 
pour devenir non-civilisé. ” 


Tfu. Antkrpjjtk. 'HetWerk. 


“Réensauvager veut dire de 
réensauvager non seulement notre 
corps et notre pensée, mais, encore 
plus important, nos relations - de 
reconstruire la toile de relations 
mutuelles qui lie non seulement le 
monde humain, mais qui lie aussi le 
monde plus qu’humain. La première 
étape dans ce sens est de créer la 
tribu. Les tribus sauvages étaient des 
familles; aujourd’hui, la civilisation 
essaie de s’affirmer comme étant une 
grande famille, mais elle est 
dysfonctionnelle. La tribu est la 
famille originelle, vivant libre et 
saine sur la terre. ” 


Parfois je nomme ce processus “Ré 
humaniser”, étant donné que les humains 
sont fondamentalement ’sauvages’, 
‘naturels’, et ainsi de suite. En majorité, 
ce que je vois marcher autour de moi dans 
cette civilisation ce sont des cyborgs, pas 
des humains. Tout ce qui reste de beauté 
dans cette culture, est ce qui peut rester 
d’humanité, de sauvage, ou de naturel en 
chacun(e). 

Je pense aussi que plus une personne se 
réensauvage, se réhumanise, et donc plus il 
(elle) se ré-enracine avec sa terre, plus elle 
peut, entre autres choses, protéger 
efficacement sa Terre/Famille. 



Vert fit Noir 


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H(^i, icQute^z-ŸYUfi 

Un poème d'Ariel Boucher 

Aujourd’hui, moi, la terre 
Entendez mes prières 
Cessez de me nucléariser 
De me souiller me bombarder 

Depuis votre naissance 
Vous allaite, vous nourrit 
Vous accueille dans mon lit 
Mon empreinte votre espérance 

Vous offre les fruits de la vie 
Vous désaltéré à mes rivières 
Dans mon ventre dans mes chairs 
Vous me violez. Mon agonie 

Vous parfume de mes odeurs 
D’arômes poivrés salés 
Vous ravie les yeux de couleurs 
Vous m’ensevelissez d’horreurs 

Pour vous plaire me fais neige 
Ou en plages de sable blanc 
Dansez en joyeux cortège 
Buvez mon vin rouge ou blanc 

Vous repoussez au loin mes eaux 
Demain mes champs seront béton 
Mes arbres éclatés en morceaux 
Plus qu’un désert. Adieu moissons 


De l’autre coté de l’océan 
Vous m’affamez, vous m’assoiffez 
Sans vergogne mon or mon argent 
Mes blessures s’écoulent de mes flancs 

Je suis votre mémoire 
Vos haines vos peurs vos victoires 
Cessez de me martyriser 
Vous restez sourds à mes prières 

Je vous porte vous supporte 
Vous voulez conquérir le ciel 
Que le diable vous y transporte 
Je suis lasse. J’ai sommeil 



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Numéro 1.1- Eté 2009 


De la neutralité de la technologie 

Dans l'esprit de beaucoup, la technologie n'est qu'un outil 
qu'on peut utiliser pour faire le bien ou le mal mais qui en 
soit est neutre. Cette neutralité justifie la technologie si 
le système en place l'utilise positivement. Cet article de 
Jesse Cross-Nicker son paru dans Green Anarchy #24 montre que 
ce n'est pas le cas. Traduction par Mouton sauvage. 


Nous vivons une époque de changements 
extraordinairement rapides dans presque 
tous les champs de l’existence humaine. 
Ces changements sont générés 
principalement par les développements des 
systèmes technologiques et industriels qui 
ont largement altéré la façon dont nous 
ressentons le temps, l’espace, les autres et 
le monde naturel. C’est comme si rien ne 
demeurait intouché par cette révolution 
technique : paysages et fleuves sont 
effacés et reconstruits avec des machines 
lourdes, de l’acier et du béton ; les 
biotechnologies ont mis les éléments de 
base la vie sous notre contrôle ; la 
connaissance telle que nous l’entendions 
est presque complètement remplacée par 
l’information qui transite à travers des 
réseaux de fibres optiques et d’ondes 
radios qui connectent ordinateurs, 
télévisions et téléphones mobiles. Partout, 
les gens et l’environnement sont 
profondément affectés par cette nouvelle 
vague colonialiste qu’est « la liberté du 
commerce », un euphémisme, et qui 
répand ces technologies dans tous les coins 
de la planète. Chaque mètre carré sur 
terre est maintenant colonisé et 
revendiqué par la juridiction des états ou 
entreprises capitalistes. 

Les techno-optimistes, généralement issus 
des classes privilégiées de cette nouvelle 
société globale, considèrent ces 
changements comme le « Progrès ». Les 
idéologues politiques de la gauche et de la 
droite voient le développement industriel 
comme solution à tous les problèmes, ne 
différant que dans la voie qu’ils 


prendraient pour bâtir un monde 
complètement rationalisé et mécanisé. A 
l’intérieur des cercles intellectuels 
raffinés, la position la plus radicale 
acceptable est que quelques technologies 
modernes ne sont pas nécessaires ou pas 
désirables, et que l’industrialisation 
globale se fait d’une manière qui nuit à 
l’environnement et à beaucoup de gens. 
Les activistes professionnels et groupes 
commerciaux exhibant des slogans comme 
« Commerce équitable et non commerce 
libre » vendent l’agriculture biologique, le 
travail progressiste, les législations 
environnementales et commerciales 
comme des correctifs aux excès de la 
globalisation. 

Ces réformistes plein d’espoir tentent de 
contribuer à la création d’une forme plus 
gentille, plus douce du capitalisme 
industriel global. Il est certainement mieux 
que les travailleurs soient bien payés et 
que la production se fasse dans des 
conditions de sécurité, de santé et d’une 
manière écologiquement soutenable II est 
certain que les producteurs de café 
d’Amérique latine méritent des prix 
équitables pour leurs produits, mais qu’est- 
ce qui les force à produire quoi que ce soit 
pour le monde occidental ? Peut-on 
imaginer un monde qui ne soit pas divisé 
entre un sud pauvre et un nord riche ? En 
tant que personnes ayant directement 
bénéficié de l’exploitation et de 
l’appauvrissement du Tiers Monde durant 
toute notre vie, pouvons-nous nous 
imaginer vivant dans un tel monde ? Quels 
intérêts sert la technologie moderne ? Et 


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Numéro 1.1- Eté 2009 


qui doit en payer le prix ? La grande 
majorité des intellectuels occidentaux 
rechignent à considérer de telles questions. 
Je présente cet essai comme une tentative 
de gratter la surface de ce territoire 
profondément inconfortable. 

L’obstacle le plus difficile à surmonter dans 
la recherche d’une critique de la 
technologie vient d’attitude communes, 
académiques ou non. L’approche standard 
de la technologie est de la considérer 
comme politiquement neutre. Selon ce 
point de vue, le développement 
technologique est dérivé des progrès de la 
science qui est elle-même vue comme une 
méthode pour obtenir des « vérités 
objectives, libres de valeurs morales qui 
émergent d’un processus déductif basé sur 
des hypothèses » (Ihde 1993 :72). La 
science nous donne des connaissances qui 
sont simplement mises en application par 
la technologie. Comme elle est basée sur 
des vérités objectivement vérifiées, la 
technologie est moralement neutre et peut 
être utilisée pour améliorer la vie des gens 
partout, quel que soit leur environnement 
économique et culturel. 

Selon cette logique, le processus industriel 
moderne ne représente rien de 
qualitativement nouveau ; il ne fait 
qu’améliorer et rationaliser les métiers et 
techniques du passé. Les humains ont 
toujours utilisé la technologie, de la hache 
de pierre taillée à la fission nucléaire et 
aux manipulations génétiques. Ce genre de 
considération rend la technologie 
essentiellement insensible à la critique vu 
qu’elle est vue comme naturellement 
intrinsèque à l’espèce humaine. S’opposer 
à la technologie revient à s’opposer à 
l’humanité. Il y a des bonnes technologies, 
des meilleures technologies, et tout mal 
résultant de leur utilisation est dû à une 
mauvaise application ou une conception 
défaillante. La technologie elle-même, 
ainsi que la science qui la sous-tend ne sont 
jamais responsables. John Zerzan, peut- 
être le deuxième luddite contemporain 


vivant aux USA, Ted Kaczinsky étant le 
premier, décrit cette logique dans une 
conférence à l’université Stanford : 

La technologie prétend être neutre, 
un simple outil, sa valeur et sa 
signification complètement 

dépendante de la façon dont elle est 
utilisée. De cette manière elle cache 
sa finalité en camouflant ses 
intentions. S’il n’y a aucun moyen de 
comprendre ce qu’elle est en terme 
d’essence, de logique interne, 
d’enchâssement historique ou d’autre 
dimension, alors ce que nous 
nommons technologie échappe au 
jugement... 

Aujourd’hui, les gens qui disent que 
ce n’est qu’un simple outil pensent 
vraiment que c’est une chose 
positive. Mais ils veulent être un peu 
plus prudents à ce sujet. Si vous dites 
que c’est neutre alors vous évitez de 
devoir prouver l’affirmation de sa 
positivité. (Zerzan 2002 :43). 

La neutralité de la technologie est 
supportée par un double argument : tous 
les humains utilisent la technologie et les 
sciences que nous utilisons pour les 
améliorer sont moralement neutres. Ces 
deux affirmations peuvent être réfutées, et 
en le faisant nous progressons vers une 
pensée critique de la technologie. Il n’est 
pas correct de dire que les outils utilisés 
par les peuples non modernes du passé et 
du présent ne sont que des versions 
primitives et brutes des technologies 
modernes. Ils sont quantitativement et 
qualitativement différents. Marin 
Heidegger comparait le barrage hydro- 
électrique moderne avec le moulin à vent 
préindustriel : 

Non: ses ailes tournent bien au vent 
et son livrées directement à son 
souffle. Mais si le moulin à vent met 
à notre disposition l’énergie de l’air 
en mouvement, ce n’est pas pour 
l’accumuler. ..La centrale électrique 
est mise en place dans le Rhin. Elle le 


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somme (steiit) de livrer sas pression 
hydraulique, qui somme à son tour les 
turbines de tourner...Dans le domaine 
de ces conséquences s’enchaînant 
l’une l’autre à partir de la mise en 
place de l’énergie électrique, le 
fleuve du Rhin apparaît, lui aussi, 
comme quelque chose de 
commis. ..C’est bien plutôt le fleuve 
qui est muré dans la centrale. 
(Heidegger 1977:12.. 14) 

La nature est donc transformée en une 
“réserve permanente” à disposition des 
consommateurs industriels modernes. Et la 
vitesse à laquelle cette transformation 
s’effectue a accéléré. En Inde aujourd’hui, 
pour citer un exemple parmi beaucoup, la 
modernisation implique la construction 
d’un des plus grands projets de barrages de 
l’histoire: 

Il envisage la construction de trois mille 
deux cents barrages. qui va transformer le 
fleuve Narmada et ses quarante-et-un 
affluents en une série de réservoirs. Il va 
altérer l’écologie de tout le bassin fluvial 
et affecter la vie d’environ vingt-cinq 
millions de gens qui vivent dans la vallée, 
et submerger quatre mille kilomètres 
carrés de forêts vénérables, des centaines 
de temples ainsi que des sites 
archéologiques datant du paléolithique 
inférieur. (Roy 2001: 39) 

Il est clair que la technologie moderne 
affecte le monde à une bien plus grande 
échelle que les pratiques supposées 
primitives. Les gens (et tous les 
organismes) modifient toujours 
l’environnement dans lequel ils vivent, 
mais le pouvoir de l’industrie moderne de 
raser des forêts, d’endiguer des fleuves, de 
miner le sommet des montagnes, d’altérer 
la chimie du sol, de l’eau et de l’air, 
d’affecter le régime pluvial, d’augmenter 
la température et de mener un nombre 
incalculable d’espèces à l’extinction 
excède largement les dommages causés par 
la plus destructrice des cultures non 
modernes. Avant la révolution industrielle. 


« les efforts des hommes, même les plus 
puissants, étaient minuscules comparés à la 
taille de la planète; l’Empire Romain ne 
signifiait rien pour l’Arctique ou 
l’Amazone. Mais maintenant, le style de vie 
des gens dans une partie du monde est en 
train d’affecter chaque centimètre carré et 
chaque heure du globe » (McKibben 
1989:46). Les changements amenés au 
monde par la technologie moderne 
excèdent largement en amplitude et en 
portée toute autre entreprise humaine. 
Toutes les cultures altèrent leur 
environnement mais encore jamais elles 
n’ont produit des si larges effets 
permanents à un niveau global. La capacité 
de l’industrie moderne de modifier 
l’environnement considérablement de 
manière quantitative la distingue des 
pratiques non modernes au point qu’on ne 
peut plus les considérer comme 
semblables. 

Les différences qualitatives entre ces deux 
types de technologies sont également très 
fortes. Contrairement aux ouvriers (ou 
leurs remplaçants cybernétiques) sur une 
chaîne de production industrielle, les 
membres des sociétés « primitives » sont 
capables de fabriquer toutes les choses 
dont ils ont besoin au niveau individuel, 
familial ou villageois. Ils cultivent ou 
collectent leur propre nourriture, cousent 
leurs propres vêtements et façonnent des 
outils à partir de matériaux naturels. Les 
produits que ce genre de société produit 
sont conçus en fonction de leur culture 
régionale en adéquation avec les besoins 
spécifiques et les désirs des gens vivant 
dans leur propre environnement local. Ces 
technologies permettent aux gens de vivre 
de façon autonome, sans état et égalitaire, 
ainsi que d’exprimer une vaste diversité 
culturelle et linguistique. 

Par contraste, la technologie moderne 
mobilise et coordonne littéralement des 
milliards d’individus sur plusieurs 
continents dans des systèmes qui 
fabriquent et distribuent des lignes de 


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produits industriels identiques. Du point de 
vue moderne, une variation est considérée 
comme un défaut. La production locale, 
unique et à petite échelle est remplacée 
par une chaîne d’assemblage globale. Les 
ouvriers ne fabriquent plus des biens pour 
eux-mêmes ou leur famille; ils peinent dans 
des mines, des usines, des bureaux et des 
écoles pour permettre le fonctionnement 
de la machine industrielle. Autant l’ouvrier 
que le produit qu’il fabrique sont 
dépersonnalisé et réduits à un nombre 
monétaire dans la grande équation 
économique. Comme Heidegger l’aurait 
dit, même l’être humain a été transformé 
en “réserve permanente”. Au début de ses 
écrits, Karl Marx a appelé ce processus 
aliénation et l’a décrit en des termes qui 
mettent en cause non seulement le 
capitalisme mais aussi l’industrialisation: 

U augmentation de la valeur dans le 
monde matériel est directement 
proportionnelle à la baisse de valeur 
humaine. Le travail ne produit pas 
que des denrées. H se produit, ainsi 
que r ouvrier, dans des proportions 
similaires aux denrées qu’il produit 
généralement.... (Marx 1994: 59.. 61) 

Faisant écho à Marx et Heidegger, Michel 
Foucault suggérait que « les institutions 
modernes soumettent les gens à une 
surveillance et une discipline constantes 
conçues pour atteindre la normalité, c’est- 
à-dire conçues pour transformer les êtres 
humains en ‘bio-force’ adaptée aux besoins 
des objectifs totalitaires du système 
technologique » (Zimmermann 1990:203). 
Les écoles, les prisons et les usines utilisent 
des méthodes de contrôle strict du temps 
et de surveillance pour garantir 
l’intégration sans failles du travail humain 
et des mécanismes industriels. Ces 
techniques « établissent des rythmes, 
imposent des occupations, règlent les 
cycles répétitifs. Mais elles tentent 
également de garantir la qualité du temps 
utilisé: supervision constante, pression des 
superviseurs, élimination de tous les 


éléments perturbateurs ou sources de 
distraction... » (Foucault 1977:149. .150). 
Grâce aux technologies pharmaceutiques, 
la production de bio-force est maintenant 
assistée par des drogues qui garantissent la 
docilité et la tranquillité des travailleurs et 
des étudiants. 

Plutôt que de travailler dans un cadre 
naturel pour atteindre ses objectifs, 
l’industrie moderne opère à l’intérieur 
d’une matrice de technologies, processus 
et environnements construits. La 
technologie est de plus en plus impliquée 
dans la production et la maintenance de 
technologie. C’est vrai de l’échelle 
moléculaire à l’échelle globale. Les 
ordinateurs et les communications par 
satellite coordonnent les déplacements de 
personnes, produits et matériaux, pendant 
que les laboratoires produisent des 
nouveaux produits chimiques et des 
nouvelles formes de vie qui deviennent les 
intrants de nouvelles productions. La 
technologie utilise des matériaux et des 
produits chimiques qui se trouvent nulle 
part dans la nature. Les produits 
synthétiques comprennent les intrants 
nécessaires et les sous-produits indésirables 
de tout processus industriel. Plusieurs de 
ces produits chimiques endommagent 
l’environnement. Plusieurs ne sont pas 
biodégradables. L’économie des peuples 
non modernes impliquait l’utilisation de la 
pierre, des produits animaux, du bois et 
des fibres végétales et rejetait les mêmes 
matériaux lorsqu’ils n’étaient plus utilisés. 
Les industries d’aujourd’hui produisent des 
plastiques, des CFC, des pesticides, des 
déchets nucléaires et du maïs roundup 
ready, rejettent des déchets dans l’eau et 
l’air ou les enterrent dans des décharges 
plus grandes que nos merveilles 
architecturales. 

La technologie industrielle n’a pas amélioré 
les techniques du passé. Elle les a 
remplacées par quelque chose de 
quantitativement et qualitativement 
différent. En reconnaissant cette 


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dichotomie nous pouvons juger la valeur et 
la logique de la technologie moderne sans 
accuser en même temps les économies non 
modernes. Nous pouvons condamner la 
bombe atomique mais laisser de côté l’arc 
et les flèches. Nous pouvons être écoeurés 
par l’idée de nourriture génétiquement 
modifiée et en même temps admirer la 
beauté et la productivité de notre potager. 
En reconnaissant que ces deux formes de 
technologie agissent dans, et engendrent, 
des contextes économico-politiques aussi 
radicalement différents, nous pouvons 
affirmer que la technologie n’est pas 
neutre, mais chargée des valeurs de la 
culture qui l’a créée. La globalisation de la 
technologie industrielle moderne ne 
représente pas le « développement » des 
cultures du tiers-monde mais leur 
destruction, leur soumission et leur 
remplacement par la culture coloniale 
occidentale. Arundhati Roy dit de ce 
processus qu’il est « quelque chose 
similaire à une guerre civile...qui serait 
déclarée au nom du développement » (Roy 
2001:4). 

Alors où se positionne la science dans tout 
cela ? Est-elle neutre et objective comme 
beaucoup de gens le prétendent ou est-elle 
chargée de valeurs culturelles ? Est-ce que 
les connaissances scientifiques et les 
méthodes utilisées pour les produire sont 
impliquées dans les problèmes politiques 
des technologies ? Ou est-ce que le savoir 
lui-même est innocent et qu’il ne prend 
une valeur qu’au moment de son 
application ? Est-ce qu’il y a une ligne de 
démarcation entre les sciences « pures » et 
appliquées ? Vu la quantité 
d’établissements scientifiques financés par 
des entreprises privées et des états ayant 
un intérêt dans la technologie, une telle 
ligne est difficile à définir. Le lien entre 
science et technologie est suffisant pour 
justifier des soupçons sur l’innocence de la 
science, mais il n’est pas suffisant pour 
vraiment comprendre son rôle dans la 
colonisation et la destruction écologique en 
cours sur notre planète. Le gestalt 


technologique était préfiguré dans les 
méthodes et les hypothèses de la science 
dès ses débuts. 

Francis Bacon, qui a établi l’essentiel des 
fondations de la science expérimentale 
moderne, avait pour maxime que « la 
connaissance c’est le pouvoir ». La science, 
dans la tradition baconnienne, n’était 
jamais pure, mais toujours liée à des 
applications possibles, toujours faite pour 
contrôler et dominer la nature. Au 
vingtième siècle, des féministes comme 
Sandra Harding ont commencé à relever le 
coté sexué et paternaliste de cette 
tradition. « En résumé, l’essor des sciences 
modernes était lui-même un mouvement 
dans le contexte baconnien et masculin 
d’une agression contre la nature trahie 
dans les métaphores de la science ‘twisting 
the tail of nature’ ou même dans 
l’utilisation de métaphores de viol, de 
Bacon jusqu’à une acceptation 
contemporaine par des prix nobels » (Ihde 
1993:70-71) La nature ne devient pas une 
réserve permanente depuis la mise en 
oeuvre de la technologie, elle est déjà 
définie ainsi intellectuellement à 
l’intérieur des structures expérimentales. 
La méthode scientifique se base sur 
l’extraction d’un phénomène hors ne sont 
contexte naturel et holistique et la 
tentative de le répliquer dans les 
conditions réductrices du laboratoire. La 
forme de l’expérimentation ne se base pas 
sur l’observation de la nature mais sur son 
interférence et son contrôle. 

La brique suivante dans la fondation de la 
science moderne a été posée par 
Descartes. Lorsqu’il a écrit « je pense donc 
je suis », il a placé le processus de pensée 
rationnelle (européenne) au centre 
subjectif de l’univers. Toute autre chose 
devenant un satellite en orbite autour de 
l’esprit occidental. Les animaux et les 
peuples non occidentaux, dont on 
présumait qu’ils ne possédaient pas la 
raison, étaient ainsi dénués de leur propre 
représentativité et de leur subjectivité. 


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leurs vies n’ayant de sens qu’en relation 
avec la conscience européenne. Rien dans 
le monde naturel n’était de justification 
inhérente par son existence propre. La 
fonction de chaque chose devait être 
définie et contrôlée par l’homme rationnel. 
Derrick Jensen a judicieusement décrit la 
nature exploiteuse de la philosophie de 
Descartes et la place à la racine de la 
science et de la technologie moderne: 

Même si sa philosophie n’était pas 
une justification si facile pour 
l’exploitation, sa recherche était 
fatalement imparfaite avant même 
qu’elle commence...En substituant 
l’illusion de la pensée désincarnée 
par l’expérience (la pensée 
désincarnée étant bien sûr impossible 
pour quelqu’un possédant un corps), 
en substituant des équations 
mathématiques aux relations du 
vivant, et plus important, en 
substituant le contrôle, ou la 
tentative de contrôle, à la 
participation complète à la nature 
sauvage et aux processus 
imprévisibles du vivant. Descartes est 
devenu le prototype de l’homme 
moderne. (Jensen 2004: 10) 

Armé de ces principes philosophiques, 
l’homme n’a pas besoin de mettre un 
barrage sur le fleuve pour en faire une 
réserve permanente. Il l’a déjà fait dans sa 
conception du fleuve. 

Donc la science aussi est complètement 
chargée de valeurs culturelles. Les vérités 
universelles que nous révélent 
l’expérimentation ne sont pas universelles 
du tout, mais des inventions et des 
abstractions produites et répliquées dans 
un environnement technologique construit. 
La science expérimentale ne révéle pas la 
vérité: elle la fabrique. Il y a un fort 
corollaire entre le laboratoire et la 
fabrique. Dans les deux environnements, 
les travailleurs mettent à exécution des 
procédures répétitives dont le but est de 


produire des résultats identiques d’une fois 
à l’autre. Le savoir est transformé 
d’expériences et d’histoires vécues en 
abstractions mécaniques répliquables. Des 
machines qui observent, enregistrent, 
stockent et transmettent des données ont 
remplacé les sens comme source de vérité. 
C’est seulement dans le contexte de cet 
environnement construit, entouré que nous 
sommes par des ordinateurs, des horloges, 
des télévisions et autres machines de 
l’information que cette vérité a un sens. 
Nous nous sommes en fait construit le 
monde imaginaire abstrait que pensé par 
l’esprit désincarné et rationnel de 
Descartes. De plus en plus de nos 
interactions sont faites avec des 
automates. Notre environnement est de 
plus en plus le produit de pensées 
rationnelles. 

En constatant que la technologie et la 
science ne sont pas neutres, nous pouvons 
accuser la technologie, et l’état d’esprit 
duquel elle émerge, d’être la cause 
majeure de la pauvreté, de la dégradation 
de l’environnement et de la perte de la 
diversité culturelle et biologique qui pèsent 
sur les pays du sud. La technologie n’est 
pas la solution aux problèmes globaux, 
mais leur cause. Sa logique est exploiteuse, 
centralisatrice et colonialiste. Pour 
formuler une réponse adéquate aux 
problèmes auxquels la planète doit faire 
face, nous devons penser en dehors de 
confins du raisonnement technologique 
moderne et formuler une compréhension 
de et une relation complètement 
différente avec le monde et les gens autour 
de nous. Aussi longtemps que nous 
continuerons à réduire la nature et la 
société à des réserves permanentes, nous 
maintenons sur elles un modèle arbitraire 
qui ne convient pas du tout, et les résultats 
sont souvent désastreux. Notre nouveau 
gestalt doit en être un qui nous intègre aux 
processus naturels, pas leur reconstruction 
pour nos besoins. 


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Références citées 

Foucault, Michel (1977) Discipline and 
Punish: The Birth of the Prison. New York: 
Random House. 

Heidegger, Martin (1977) The Question 
Concerning Technology and Other Essays. 
New York: Harper and Row. 

Ihde, Don (1993). Philosophy of 
Technology. New York: Parangon House. 

Jensen, Derrick (2004): A Language Older 
Than Words. White river Junction, VT: 
Chelsea Green. 


Marx, Karl (1994). Selected Writings. Ed. 
Simon Lawrence. Indianapolis: Hackett 
Publishing. 

McKibben, Bill (1989). Then End of Nature. 
New York:Doubleday. 

Roy, Arundhati (2001). Power Politics. 
Cambridge, MA: South End Press. 

Zerzan, John (2002). Running on Emptiness: 
The Pathology of Civilization. Los Angeles: 
Ferai House. 

Zimmermann, Michael (1990). Heidegger’s 
Confrontation with Modernity. Indianapolis: 
Indian University Press. 



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